Un ami algérien Noureddine Toumi m’a fait parvenir cette belle carte de vœux pour l’année 2018. Je lui présente les miens en retour et je lui dis « Vive l’amitié des peuples algérien et français » Noureddine Toumi vit à El Bayadh, une ville qui s’appelait Géryville au temps de l’occupation de l’Algérie par la France.
Noureddine Toumi est aussi ami avec Jacques Cros qui a passé un moment « de sa sale guerre d’Algérie » à Géryville, voici son témoignage :
Le 19 mars 1962 à Géryville
A cette date j’étais encore « sous les drapeaux » et mon unité se trouvait à Géryville, une sous-préfecture au sud de Saïda, située sur les hauts plateaux à l’est du Chott Ech-Chergui, qui porte aujourd’hui le nom de El Bayadh. Culminant à 1376 m la ville est la capitale de l’alfa.
Dans les dernières semaines qui avaient précédé le 19 mars nous avions été déplacés à plusieurs reprises. Venus de Bou-Ktoub nous étions arrivés une première fois à Géryville, en étions repartis pour l’oasis « Les Arbaouet » et nous étions à nouveau à Géryville. Après le cessez-le-feu nous avons encore quitté la ville pour l’oasis de Ghassoul située plus au sud. C’est d’ailleurs à partir de Ghassoul qu’a commencé vers la fin avril mon long rapatriement en France.
Personne ni chez les gradés ni parmi la population européenne ne donnait l’impression d’une prise de conscience de ce qui se passait avant le 19 mars.
Le cessez-le-feu entrait en vigueur à midi. Dans la cour du cantonnement Kadri Benkadour, que les circonstances avaient amené à être dans l’armée française, m’avait invité à boire une bière pour célébrer la fin de la guerre. L’espoir changeait de camp, le combat changeait d’âme !
Déjà, je l’ai su par la suite, des militaires de carrière d’origine arabe ou kabyle, négociaient leur pardon auprès des Algériens en détournant des munitions qu’ils faisaient passer au FLN.
Dans l’après-midi de ce 19 mars 1962 ma section a été appelée à une opération de maintien de l’ordre dans un quartier périphérique de Géryville. Il y avait là des mechtas, c'est-à-dire des maisons basses avec un toit en terrasse. Leurs occupants avaient mis de petits drapeaux verts, ceux du FLN, sur ces toits.
Un groupe de soldats de mon unité, normalement affectés au garage, constitué de pieds-noirs qui avaient participé aux barricades de janvier 1960 à Alger et qui à ce titre et sous peine de sanctions pénales s’étaient vus contraints de s’engager, a fait irruption dans le quartier. Apparemment ils n’avaient pas reçu d’ordre mais agissaient de leur propre chef. Leur action consistait à se faire ouvrir les portes et à faire enlever les drapeaux. Les gens n’ayant pas le choix ils obtempéraient. Malgré les coups frappés une porte ne s’ouvrit pas. Tout simplement parce que l’habitant était chez ses voisins. Les coups contre la porte ont redoublé au point de risquer de l’enfoncer. Le propriétaire des lieux est sorti et a été molesté par le groupe.
Je n’ai pas pu m’empêcher de crier mon indignation d’un : « Chapeau l’armée française ! » qui a pu été entendu par tous et notamment par le lieutenant qui commandait notre section, un « deux barrettes », un certain Baguet. Ne sachant comment réagir il appela le capitaine par radio. Celui-ci ne tarda pas à venir sur les lieux et me demanda ce que j’avais dit. J’amputais un peu mon propos en reconnaissant que j’avais crié « Chapeau ! » et je complétais en déclarant que je trouvais indigne que l’armée ne respecte pas les engagements de notre gouvernement qui venait de signer les Accords d’Evian, lesquels se traduisaient par le cessez-le-feu.
A vrai dire le capitaine était embarrassé. Il savait que j’étais communiste mais me rendait justice, je ne lui avais jamais posé de problème particulier. Il ajouta qu’il m’avait même proposé pour être Premier canonnier ! Il faut vous préciser que j’étais pratiquement le plus ancien dans le grade le moins élevé ! En fait sa proposition n’était pas vraiment franche puisque, je l’ai appris par la suite, j’avais bien été inscrit sur une liste mais à la fin, de façon à ne pas être promu. J’ai donc fini mon service militaire comme Deuxième canonnier ce qui au demeurant n’avait aucune espèce d’importance!
Mais ce qui s’était passé dans les faubourgs de Géryville était sans commune mesure avec ce qui s’est déroulé au centre. Des fusillades ont éclaté pendant une partie de l’après-midi. Le bruit a couru que le commando Cobra, normalement basé à Saïda, avait ouvert le feu sur la population qui avait été appelée par le FLN à manifester. Il y avait une trentaine de morts a-t-il été dit. Je n’ai jamais pu établir la réalité ce qui a eu lieu. Je pense que le couvre-feu a été décrété par l’autorité militaire.
Il y a eu dans le secteur où opérait ma section un autre fait que je vais relater. Un officier, un lieutenant me semble-t-il, qui n’appartenait pas à notre unité, m’a apostrophé. Il tenait une MAT (mitraillette) à la main et était complètement paniqué, m’expliquant que pendant que nous regardions en face nous risquions d’être attaqués par l’arrière. Décidément encore un qui n’avait absolument rien compris. Je n’ai pas pu dialoguer vraiment avec lui tellement nous étions à des années lumière l’un de l’autre mais mon visage a dû être suffisamment expressif pour qu’il mesure le fossé qui nous séparait.
Le lendemain ma section était encore de service de maintien de l’ordre mais cette fois j’en ai été dispensé par le capitaine qui m’a affecté à la fonction de garde chambre. Chaque jour l’un d’entre nous restait en effet au cantonnement pour ce faire. Toutefois l’état d’esprit n’était plus à la soumission parmi le contingent et Jean-Pierre Valade, originaire de la Corrèze, avait déclaré : « S’il y a encore des choses qui ne vont pas il y en aura d’autres pour le dire ! »
Plus de 51 ans après le 19 mars 1962
Je suis en contact avec le webmestre du site Géryville Nostalgie qui avait mis en ligne il y a quelque temps le récit que j’avais rédigé des événements que j’avais vécus le 19 mars 1962 à Géryville.
Pour accéder à Géryville Nostalgie : cliquez sur ce lien :
http://steppe.doomby.com/pages/historique-geryville/le-19-mars-1962-a-geryville.html
Mon récit a donné lieu de la part d’internautes à quelques compléments ou correctifs. Ils me permettent d’ajouter divers éléments supplémentaires à mon histoire.
Des photos m’ont conduit à situer le quartier où ma section était en « maintien de l’ordre ». Selon toute vraisemblance il s’agit du quartier Legraba encore appelé « Village Nègre ». Oui, en Algérie des quartiers de maisons basses avec des toits en terrasse avaient été créés à la périphérie des villes au moment de l’expansion du colonialisme. Ils étaient occupés par les indigènes.
Sur ces photos on voit des personnes, hommes, femmes, enfants, qui quittent le quartier avec des drapeaux. Sans doute s’agit-il de gens qui vont manifester au centre ville pour exprimer leur joie du cessez-le-feu qui est entré en vigueur à midi et qui ouvre la voie à l’indépendance de l’Algérie.
J’avais fait état de la fusillade que nous avions entendue dans l’après-midi et des morts qu’elle avait à coup sûr engendrés, sans avoir de précision ni sur leur nombre ni sur qui a tiré.
Il m’a été rapporté que ce seraient les hommes du commando Cobra ou du commando Georges (basés à Saïda), qui sont les responsables du drame. Je n’ai pas le moyen de vérifier. Si c’est exact on comprend la volonté de représailles de la population envers ceux de leurs compatriotes qui s’étaient mis au service de l’occupant.
Grâce au site que gère Monsieur Toumi Noureddine j’ai eu un échange avec Mme Fatima Esstitnia, une fille d’une victime. Celle-ci s’appelait Belaouni Mebarka et devait être… nous dirions aujourd’hui une militante de la cause algérienne. Fatima avait alors 17 ans et était restée à la maison, tandis que sa mère était partie manifester, drapeau en main, avec sa jeune sœur.
Hélas la mère n’est pas revenue ! On l’a retrouvée le lendemain, morte près du pont de Legraba nous a dit sa fille, en cherchant sans doute à entrer dans le bain maure dont la porte est restée désespérément fermée. Peut-être a-t-elle été tuée après le couvre-feu qui avait été décrété ?
Dans un café de Géryville
C’était quelques jours après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 et je me trouvais dans un bistrot de Géryville, sans doute avec Jacques Flotté, comme moi à l’époque instituteur dans le civil.
Nous avons d’ailleurs deux souvenirs différents de ce qui s’est passé ce soir là dans ce café.
Pour ce qui me concerne je revois au comptoir un Maghrébin satisfait de la situation et déclarant que du Maroc à l’Egypte « ils » étaient chez eux à présent. Je revois aussi un Pied Noir particulièrement mécontent des propos qu’il venait d’entendre et qui s’était montré agressif à l’encontre du Maghrébin. Oui il devait y avoir dans la tête de la majorité des Européens cette idée que l’indépendance de l’Algérie n’était pas acceptable et qu’elle ne serait pas !
Je ne garantis pas que ce soit ce soir là et dans ce café qu’a eu lieu la scène que se rappelle Jacques Flotté. Nous avions été interpellés par un client maghrébin, le même peut-être que celui dont je viens de parler. Il avait déclaré être le responsable du FLN à Bou-Ktoub où nous avions étés cantonnés pendant de longs mois et que nous les appelés du contingent ne risquions rien. Il avait ajouté être chauffeur de poids lourd et précisé qu’il arrêtait son camion pour boire un coup dans un des deux cafés du village.
A Bou-Ktoub je ne suis jamais allé au café mais je me souviens d’un camion souvent stationné au petit matin, le moteur en marche, devant le bâtiment où l’autre maître-chien et moi logions, en face du bistrot que tenait un Européen qui s’appelait peut-être Martinez.
N’en sachant pas davantage je n’en dirai pas plus !
Jacques CROS
Le paysage dans le secteur de Géryville est désolant. L'absence d'arbres et d'eau s'ajoutait au problème d'être loin de chez moi et prisonnier de l'institution militaire.
Je reconnais que Noureddine sait le mettre en valeur avec les photos qu'il prend. Mais si je peux avoir du plaisir à visionner ses diaporamas il n'en était pas de même de circuler, le plus souvent en camion, sur ces pistes. Pour tout avouer j'étais plus fréquemment au cantonnement que dans ces djebels.