• France-Algérie, le déchirement que chantait Rachid Taha

     

    France-Algérie, le déchirement

    que chantait Rachid Taha

     

    Rachid Taha, qui vient de disparaître, chantait pour certains de nos enfants entre deux pays et deux cultures. 

    France-Algérie, le déchirement que chantait Rachid Taha

    Rhania Salhi, collaboratrice de Montélimar News, raconte avec ses mots d'enfant d'ici le hiatus avec lequel elle vit et que le chanteur pointait avec un immense talent 

     

    La mort de Rachid Taha a provoqué en moi de sacrés remous. Enfant d’immigrés algériens, il a été le porte-parole d'une génération sacrifiée, "ma génération". Je me souviens de ces années où nous subissions, nous, enfants d'immigrés, ces regards de suspicion voire de haine. Le racisme je l'ai connu et côtoyé presque chaque jour de ma vie. Des réflexions, des sous-entendus, des "je ne suis pas raciste mais..."
    L'histoire de nos parents venus en France travailler pour reconstruire le pays nous était renvoyée en pleine gueule, la société française de l'époque se moquait bien de savoir comment vivait cette main-d'œuvre. La plupart du temps dans des ghettos, c'était dans les années 60. Mon père et mes oncles ont d'ailleurs vécu dans un de ces ghettos rendus célèbres par Azouz Begag, mon cousin germain, dans son livre "Le Gone de Chaaba".

     



    Où en est-on aujourd'hui ?



    Certes les mentalités ont changé, certes nous vivons ensemble mais dans un pays qui a peine encore à accepter sa multiculturalité, qui doit s'accommoder de ces relents nauséabonds qui nous rappellent l'ailleurs de nos origines.
    La première fois que j'ai entendu Rachid Taha et son groupe "Carte de Séjour" reprendre la chanson "Douce France" de Charles Trénet, j'avais 20 ans. J'étais en rébellion avec ce que l'on voulait m'imposer mais, pire que cela, j'étais en recherche de ma propre identité. Etais-je Française ou Algérienne ? Ou une hybride fabriquée par les pouvoirs publics ? D'un côté on nous exhortait à être Français et de l'autre on nous demandait de conserver notre culture d'origine. Dur dilemme quand on a 20 ans.



    Intégration, ou comment intégrer des gosses nés en France



    Alors nous y voilà, la société française ne sachant plus comment s'y prendre avec ces enfants de la République qui avaient peine à y trouver leur place, a inventé le concept d'intégration ou, pire, d’assimilation. Encore un exemple de négation de notre appartenance à cette nation. Pour nous, enfants d'immigrés nés en France, ce concept idéologique purement français n'a servi qu'à susciter un véritable rejet de cette France qui se disait tolérante ; rappelons que la gauche venait d'arriver au pouvoir et qu'on espérait autre chose. Mal nous en à pris.

    Carte de Séjour et Rachid Taha, artiste symbolisant

    le mélange des cultures

    Parfois cette période de vie revient comme un boomerang, une onde qui traverse votre esprit et vous paralyse car ce que vous avez vu et vécu vous rend vulnérable au point d'en être disloqué.
    Deux mondes qui se déchirent, deux pays qui nous tiraillent, pourtant nous avions choisi notre terre, nous enfants nés en France: "l'hexagone". Nous n'avions rien à regretter ni à espérer de la terre de nos ancêtres, que nous connaissions à peine. Il nous fallait être français, un point c'est tout. C'est pour cela que la reprise de Douce France, en 1983 par Carte de Séjour, a été comme une reconnaissance de notre mal-être : tout d'un coup nous prenions conscience de nos origines et de notre histoire, une histoire multiple empreinte de bien d'aventures et de déchirements, mais notre histoire quand même. Cette chanson reprise par le groupe franco-algérien - mot inventé par les médias de l'époque - devenait soudain un porte-drapeau pour toute une génération, cette même jeunesse qui par la suite de créa la Marche des Beurs, en 1983.

     



    Le Maghrébin

     

    L'autre jour j'ai entendu une conversation anodine dans un commerce, le commerçant racontait à une cliente sa mésaventure. Oh ! Pas grand-chose, un chariot oublié sur le parking, cette histoire banale au premier abord a révélé pour moi une histoire plus complexe. Le commerçant a expliqué, je cite "c'est un Maghrébin qui a laissé le chariot au milieu du parking". Cette phrase laisse entrevoir que le fossé creusé depuis des années n'est pas près de se combler.
    Le simple fait de stipuler l'origine de la personne démontre que notre société n'est pas prête encore à accepter sa diversité. C'est valable pour la presse écrite et télévisuelle qui pendant longtemps désigna les protagonistes de faits divers en citant leur origine. Exemple : jeune homme d'origine africaine, etc… Il a fallu du temps et des coups de gueule pour qu'enfin disparaisse ce genre de citation.
    La disparition de Rachid Taha ouvre la porte à bien des souvenirs, un monde que l'on croit derrière nous et qui pourtant ne nous a jamais oubliés. Il se revendiquait Algérien et Français, mais en vérité il était de tous les pays, il était un Djinn, au milieu du désert.

    Rachid Taha est mort dans son sommeil d'une crise cardiaque à 59 ans. Il avait conscience de ce qu'il représentait pour cette génération d'enfants d’immigrés, ce qu'il était lui-même. Je l'avais rencontré à l'occasion d'un concert de soutien en 2015 pour la Bizz'art Nomade. Il m'avait dit à quel point il était heureux d'être d'ici et de là-bas. Il avait bien raison.

    Rhania Salhi

    SOURCE : http://www.montelimar-news.fr/article/entre-france-et-algerie-le-dechirement-pour-certains-de-nos-enfants/1/9744.html 

    Hommage. La France et l’Algérie pleurent

    l’enfant du punk et du chaâbi

    France-Algérie, le déchirement que chantait Rachid Taha

    Le chanteur Rachid Taha, figure du rock français, a été inhumé vendredi sur sa terre natale à Sig, dans l’Ouest algérien. Une foule immense et fraternelle accompagnait sa dépouille.

    Il est parti sans crier gare. Et sa brutale disparition, à l’âge de 59 ans, laisse sans voix ceux qui ont grandi au son de ses envolées punk en arabe et de ses reprises rock bohèmes des chansons de Dahmane El Harrachi ou Mohamed Mazouni. À Sig, dans l’Ouest algérien, une foule immense s’est rassemblée, vendredi, pour accueillir la dépouille de Rachid Taha, couverte du drapeau algérien. Il a contribué de façon décisive à l’enracinement, en France, des héritiers de l’immigration algérienne ; le voilà qui repose désormais sur la terre de ses ancêtres…

    Il a accompagné la grande Marche pour l’égalité en 1983

    Né avant l’indépendance, Rachid Taha avait quitté l’Algérie à l’aube d’une vie, d12 ans à peine, pour les frimas alsaciens. Sa formation de comptable l’ennuie. Il trime à l’usine, prend goût à la lutte, embrasse le combat syndical. Dans les années 1980, alors qu’il s’est installé dans la région lyonnaise, il savoure l’effervescence culturelle et politique qui annonce la grande Marche pour l’égalité en 1983. Les pieds en banlieue, la tête à Londres et à New York, il écoute les Clash, Talking Heads, les Ramones, les Sex Pistols, monte des fanzines, ouvre une boîte de nuit qu’il baptise « Le Refoulé ». Contre le racisme, quelle meilleure arme que l’humour ? En 1981, son groupe mythique, Carte de séjour, naît par effraction. « Un jour de grève des bus, j’ai fait du stop. C’est là que j’ai rencontré le guitariste Mohammed Amini, qui m’a proposé de faire de la musique. Au début, on voulait appeler le groupe 404, comme la voiture, ou comme le groupe anglais UB40. Valéry Giscard d’Estaing était alors président : on a donc cherché un nom à particule. On a trouvé Carte de séjour », riait-il en racontant son parcours à l’Humanité, il y a cinq ans. La reprise fracassante et acidulée d’une chanson de Charles Trenet, Douce France, explose les frontières, bouleverse le paysage musical et fait chavirer une jeunesse métissée qui s’approprie avec régal ce nouvel hymne subversif. « Pour les générations issues de l’immigration maghrébine des années 1980 à aujourd’hui, Rachid Taha est non seulement un grand artiste – punk, rock, électro, à l’aise avec des sonorités raï comme avec le chaâbi –, mais c’est aussi celui qui a réconcilié toutes les identités face à l’injonction à être français et rien d’autre. Ce qui avait trait au pays d’origine ou aux aînés exilés était perçu comme de la sous-culture ou posant un conflit de loyauté. Rachid Taha a au contraire affirmé et magnifié ce legs, sans jamais se laisser enfermer dans une identité ou une étiquette artistique », résume l’historienne de l’immigration Peggy Derder.

    « C’était un anarchiste né, un vrai révolté »

    Être d’ici, d’ailleurs, de partout, ainsi vivait ce pionnier afro-libertaire inspiré par Léo Ferré autant que par Fela Kuti, reconnu dans le monde entier comme l’une des plus grandes figures du rock français. Mick Jones, le guitariste des Clash, n’a-t-il pas lui-même avoué sa préférence pour la furieuse reprise en arabe, par Taha, de Rock the Casbah ? « C’était un anarchiste né, un vrai révolté. Il n’a pas seulement remis en cause les canons esthétiques de la chanson populaire franco-algérienne. Il était d’une grande finesse, d’une grande intelligence politique », se souvient le plasticien Mustapha Boutadjine, dont le portrait de Frantz Fanon trônait dans le séjour de la maison du chanteur aux Lilas, en banlieue parisienne. Fulgurant, généreux, écorché, Rachid Taha a incarné une révolution musicale qui a inspiré bien des artistes. Il reste, aussi, le visage d’une aspiration à l’égalité que rien ne peut endiguer. Sur les deux rives de la Méditerranée, ceux qui le pleurent aujourd’hui restent fidèles à son héritage : ils se jouent des frontières, des barrières et de toutes les assignations identitaires.

    Rosa Moussaoui

    SOURCE : https://www.humanite.fr/hommage-la-france-et-lalgerie-pleurent-lenfant-du-punk-et-du-chaabi-660902

    La "Douce France" orpheline

     de Rachid Taha

     

    « Ne manquez pas le remarquable documentaire « La Police de Vichy » par David Korn-Brzoza et Laurent Joly France 3 Mercredi 19 septembre, 20h55«La fin de l’affaire Audin, le début d’une histoire apaisée» »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Septembre 2018 à 10:54

    Le rock, le rap, ça m'est complètement étranger ! Je n'avais jamais entendu parler de Rachid Taha. Saint-Denis du sig par contre j'ai eu l'occasion d'y passer à diverses reprises. Quant au racisme islamophobe je connais aussi !

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